Après ma dédicace à la librairie crémolane De Plume et d’Épée, j’ai assisté à l’un des ateliers d’écriture régulièrement proposés par le libraire. Le thème était « le Jour des Morts », nous devions écrire un texte neutre sur notre vision de cette fête. Le deuxième texte était une réécriture du premier avec une touche d’horreur, et le troisième en mode plus léger.
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La routine prenait toujours le relais. Les gestes, machinaux, s’enchaînaient sans entraîner de pensées particulières. Retirer, nettoyer, reposer, déranger. Toujours dans le même ordre. Parfois, on pouvait s’autoriser une petite fantaisie comme de nettoyer sans déplacer, mais cela restait vraiment extraordinaire. Et pas très professionnel. Ça faisait sourire un instant et la routine reprenait.
Retirer, nettoyer, reposer, arranger. La même rengaine rassurante qui rythmait depuis la nuit des temps une douce mélodie de gestes mécaniques.
Venait alors le Jour des Morts et commençait un nouveau défilé routinier. Les veufs et les veuves âgés, toujours les premiers. Les plus jeunes ensuite, les orphelins et les parents endeuillés. Puis les petits-enfants, les neveux et nièces.
Le ballet continuait toute la journée, jusqu’aux retardataires essoufflés râlant contre la fermeture des grilles.
Et le lendemain, tout recommençait. Retirer, nettoyer, reposer, arranger. Jusqu’à l’année prochaine.
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Ce qu’il y avait de bien avec ce métier, c’était la routine. Dès le matin, il fallait chercher ce qui avait été déplacé pendant la nuit, réparer ce qui avait été cassé, remettre tout en place avant l’ouverture des grilles.
Il y avait bien des petites fantaisies parfois : un bras squelettique terminé par un majeur en l’air posé sur une plaque mortuaire, un crâne sortant de terre, ou un petit mot tracé dans le gravier : « Tu es le prochain ! ». Occasionnellement, quand les pensionnaires étaient particulièrement en forme, on avait droit à des insultes aussi fleuries que les tombes.
Venait alors le Jour des Morts, avec son défilé de personnes endeuillées. Ce jour-là, les Morts s’en donnaient à cœur joie. On entendait sangloter de bonheur de retrouver l’être aimé, on chantait son plaisir d’être une nouvelle fois réunis.
Mais pour ceux qui avaient oublié toute l’année leurs chers défunts et qui n’étaient là que par convention calendaire, les ennuis commençaient dès le parking.
D’ailleurs, on avait noté une très nette hausse de décès la semaine suivant le Jour des Morts.
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Le gardien sortit de sa maison en pierre.
– Marcel, tu as encore oublié ta tête devant ma porte ! beugla-t-il. Lucette, il va falloir arrêter de piétiner mes plants de tomates. Je sais que tu veux aider mais profite un peu de ton repos éternel.
Le gardien éclata de rire en voyant deux bras entortillés posés sur le banc devant son portillon. Encore des amoureux surpris par le lever du soleil qui n’ont pas réussi à se désenchevêtrer. Le gardien savait à qui ils appartenaient, aussi ramassa-t-il les deux bras pour les mettre dans sa brouette, en compagnie du crâne de Marcel et des orteils de Lucette. C’est qu’il fallait être présentable aujourd’hui. Les familles allaient défiler devant les tombes et il serait indélicat qu’elles tombent nez à nez avec un membre de l’oncle René. Imaginez qu’elles accusent le gardien de négligence et qu’elles décident de déplacer leurs morts ! On ne savait pas où ils pourraient tomber. Imaginez un peu si on les empêchait de danser en les mettant dans ces horribles caveaux fermés !
Ah ça, non, il n’en était pas question ! Le cimetière du gardien, c’était le paradis des Défunts !